Sharpstone

Écosystèmes VC français vs américain

Pierre Gaubil

Pierre Gaubil

Fondateur 34 Elements

Germain Gaschet

Germain Gaschet

Co-fondateur SHARPSTONE

En 2023, nous avons enregistré un podcast avec Germain Gaschet, co-fondateur de Sharpstone et Pierre Gaubil, fondateur de 34 éléments sur les défis et les opportunités des écosystèmes VC français et américain. Leurs points de vue, parfois opposés, enrichissent le débat et montrent la complexité de ces écosystèmes dans lesquels nous évoluons. Retrouvez les points clés de leur échange.

Quelles sont les conditions nécessaires pour faire émerger un Google dans l'écosystème européen ?

Pierre Gaubil :

Il faut regarder quels sont les composants qui permettent de faire éclore un écosystème similaire à la Silicon Valley :

  • Nous avons des talents avec un savoir-faire associé à un profil business.
  • L’écosystème financier français est de plus en plus attractif avec des levées de fonds pouvant atteindre des montants très élevés.
  • Il faut un écosystème qui mélange logiciel et hardware: c’est ce qui fait la force de la Chine et des US. Un géant du hardware comme Intel, par exemple, accélère grandement les innovations logicielles aux US. En France, nous avons des capacités à développer du software mais nous avons un déficit criant en matière hardware.
  • Les corporate pure players (les hyper stars dans leur domaine comme Google ou Apple), doivent former les étudiants aux défis de demain pour les préparer à être entrepreneur. Ils doivent également racheter les startups dans lesquelles les VCs investissent pour qu’ils puissent avoir un retour sur leurs investissements et que l’écosystème soit viable. Ce système de M&A n’est pas aussi vertueux qu’aux US par manque de corporate pure players aptes à faire des rachats.


Mais surtout, il ne faut pas chercher à copier ce que font les Américains. Il faut inventer une filière, une Tech pour mettre en avant l’originalité de l’écosystème français.

Germain Gaschet : Il y a en effet une différence d’échelle. En France, une startup en amorçage essaye de trouver 150k€ auprès de BA alors qu’aux US, c’est minimum 1,5M€ pour le même stade. Tout est plus grand.
Par ailleurs, il y a une émergence de la Deeptech à vocation industrielle qui mélange hardware et software. Des chercheurs au CNRS ou encore à l’INRIA travaillent sur des solutions de rupture. Il existe un parcours spécifique Deeptech piloté par Bpifrance pour les accompagner du modèle théorique issu du laboratoire jusqu’à la génération de chiffre d’affaires. Cependant, il y a une aversion au risque de la part des investisseurs. Ce sont, par définition, des Tech longues à émerger qui demandent beaucoup d’investissements sans garantie de succès.

Quelle est la perception du risque dans ces deux écosystèmes ?

Pierre Gaubil : Il y a deux façons de s’instruire par l’échec : soit par l’intelligence collective en apprenant des autres, soit par l’expérience elle-même. La grande différence entre la Silicon Valley et le reste du monde est que leur écosystème considère que l’entrepreneur apprend de ses échecs. En France, nous remettons en doute ses compétences s’il échoue. Or, un des éléments clés dans le succès, c’est la chance.

Aux US, il y a une vraie vélocité par rapport à l’échec. Ils ne font pas survivre des “morts vivants”. Si une startup est en train de mourir, elle meurt, ce n’est pas grave, l’entrepreneur apprend et rebondit sur un nouveau projet. L’échec est valorisé comme une vraie expérience.

Germain Gaschet : Il y a 9 startups sur 10 qui échouent. Il faut dédramatiser l’échec parce qu’il y a souvent une part de chance dans les réussites. Ce rapport à l’échec est paradoxal. Il y en a beaucoup dans la R&D et dans le monde des VCs. Les chercheurs essaient de comprendre pourquoi cela ne fonctionne pas et ils itérent. Les VCs investissent en sachant que 9 startups sur 10 échouent.

Y a-t-il une différence entre lever des fonds en France et aux US ?

Pierre Gaubil : Il y a 30 000 startups dans la Silicon Valley. Leur deal flow est suffisamment bon pour ne pas s’intéresser aux startups françaises. Cela veut dire qu’il faut être dans leur écosystème pour lever des fonds avec un investisseur américain. Il faut s’installer aux États-Unis et devenir américain. Dans les LP agreements aux États-Unis, il est souvent écrit qu’ils n’ont pas le droit d’investir en dehors du territoire. C’est beaucoup plus facile de lever de l’argent local pour une entreprise locale que d’aller dans un pays qui n’est pas le sien.

Germain Gaschet : Il faut regarder où la startup se situe dans le cycle d’investissement. Est-ce un bon produit ? Est-ce une bonne équipe ? Est-ce un bon marché à cibler ? Ce n’est pas une question de ce qui change entre les US ou la France mais est-ce que le projet mérite d’être financé par des VCs. Est-ce un projet startup ou une PME qui peut être autofinancée ? Les levées de fonds sont l’argent qui coûte le plus cher. Il faut viser un taux de croissance élevé, voire d’hyper croissance.

Est-il préférable de lever des fonds à l’étranger ou en France pour développer le business à l’international ?

Germain Gaschet : C’est compliqué de lever des fonds en soi. Cela ne permet pas de rester focus sur l’avancement du projet. L’étranger ajoute donc un niveau de complexité. A savoir, on estime que les fonds américains ont représenté 40 % des montants investis dans les startups françaises en 2021 et 2022. Leur participation a chuté à moins de 5 % en 2023 (Source). Il est plus simple de cibler des fonds étrangers qui ont des structures en France pour investir. Cela permet de moins se disperser.

Pierre Gaubil : Pour moi, il y a trois types de startups :

  • Locale : ne peut pas s’exporter car son secteur est très réglementé.
  • Multilocale : doit mettre en place une infrastructure (bureau, collaborateurs, etc.) sur place pour se lancer à l’international.
  • Globale : peut vendre son produit n’importe où.


Pour cette dernière catégorie, il faut dès le départ penser global pour ne pas développer un produit culturellement accroché à son marché d’origine. Dans le cinéma, nous pouvons faire du Lelouch ou du Godard. C’est très marqué et cela fonctionnera en France. Les Américains font du Batman qui fonctionnera aussi en Inde, en Chine etc. Si vous êtes global, le produit doit être pensé pour être Batman et pas Godard.

Par ailleurs, il n’y a plus d’unicité aujourd’hui. La concurrence est toujours féroce. Il faut que la première levée soit la plus facile et donc souvent locale. Trouvez un VC qui a des connexions dans l’écosystème. Le rôle d’un investisseur, en fonction de sa thèse d’investissement, est de vous aider à lever au stade suivant, par exemple la série A pour une levée en seed. Vous pouvez donc cibler un VC en France qui a des connexions avec des fonds étrangers pour le prochain round.

Que pensez-vous de tester le marché US en trouvant des fonds auprès des accélérateurs comme le Y Combinator ?

Pierre Gaubil : La méthode du YC consiste à intégrer un projet et lui faire lever des fonds en 3 mois. Ils vont rechercher des solutions attractives et les rendre recevables auprès d’un VC. Il vous présente un maximum d’investisseurs mais vous devez relocaliser l’entreprise aux US. Il y a moins de 10% des boîtes qui réussissent, soit 90% qui se retrouvent à avoir déménagé sans avoir levé. C’est donc un pari sur l’avenir, celui que vous allez réussir aux US.

Germain Gaschet : Nous avons eu la chance d’accompagner avec Sharpstone plus de 10 startups françaises ayant intégré le YC (Y Combinator) comme Bitstack, Numind ou encore Photoroom. Je serai moins catégorique sur la relocalisation de l’entreprise aux US. Je dirai plutôt qu’il faut à minima installer son siège social dans le Delaware. Réussir à y rentrer est compliqué mais c’est un formidable accélérateur. Cela vous immerge dans l’écosystème US et vous fait réfléchir à votre projet de manière très rapide.

Article rédigé par Charlotte Adam–Allais

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